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Les livres que j'ai lus et que j'aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ou...pas du tout.
Mes compte-rendus de lectures et commentaires personnels.
Le narrateur et sa soeur passent leurs vacances chez leur grand-mère, Charlotte, une Française, qui vit dans une petite ville de Sibérie, en bordure de la steppe. Elle leur raconte ses souvenirs de jeunesse, à la fin de 19° siècle et au début du 20°, leur parle des événements de l'époque -la visite du tsar Nicolas II, les inondations de 1910 à Paris- et leur lit des poèmes. Le français est pour le narrateur sa "langue grand-maternelle" et il reporte son amour pour Charlotte sur la langue et le pays d'origine de celle-ci.
Dans ce roman en partie autobiographique, Makine nous raconte sa relation à la France et à la culture française. Cette France c'est d'abord un pays uniquement fantasmé parce que lui-même n'y met les pieds qu'à l'âge adulte et que sa grand-mère l'a quittée depuis longtemps. A l'adolescence sa double culture lui sert d'abord à se distinguer des autres et à s'en protéger puis elle le gêne et il tente de la rejeter avant d'arriver à l'intégrer et de finalement s'installer en France.
Je relis Le testament français après une première lecture qui remonte à plus de dix ans et qui m'avait fait forte impression. A la relecture ce n'est plus l'éblouissement que j'avais ressenti alors mais je retrouve bien tout ce qui m'avais tant plu : l'écriture superbe, la nostalgie de cette France rêvée, la relation privilégiée du narrateur et de sa grand-mère.
"Neuilly-sur-Seine était composée d'une douzaine de maisons en rondins. De vraies isbas avec des toits recouverts de minces lattes argentées par les intempéries d'hiver, avec des fenêtres dans des cadres en bois joliment ciselés, des haies sur lesquelles séchait le linge. Les jeunes femmes portaient sur une palanche des seaux pleins qui laissaient tomber quelques gouttes sur la poussière de la grand-rue. Les hommes chargeaient de lourds sacs de blé sur une télègue. Un troupeau, dans une lenteur paresseuse, coulait vers l'étable. Nous entendions le son sourd des clochettes, le chant enroué d'un coq. La senteur agréable d'un feu de bois -l'odeur du dîner tout proche- planait dans l'air.
Car notre grand-mère nous avait bien dit, un jour, en parlant de sa ville natale :
-Oh ! Neuilly, à l'époque, était un simple village...
Elle l'avait dit en français, mais nous, nous ne connaissions que les villages russes."
Le cinéaste russe Oleg Erdmann est obsédé par l'idée de faire un film sur Catherine 2, la Grande Catherine (1762-1796), personnage aux multiples facettes. Elle fut
une souveraine éclairée qui modernisa son pays. Mais aussi elle a eu de très nombreux amants ce qui a donné naissance à une légende noire qui la présente comme une nymphomane capable de crimes
horribles par jalousie. Oleg Erdmann veut, lui, présenter la femme derrière la souveraine. Catherine a-t-elle été aimée ? A-t-elle aimé ?
Le roman se déroule autour de la fin de l'URSS. Dans les années 1980, Oleg doit affronter la censure soviétique. Il faut ruser pour présenter la tsarine autrement
que comme une despote. La monarchie a forcément tort. Dans les années 1990, la censure est celle de l'argent. Il s'agit de montrer un maximum de scènes de sexe pour faire de l'audience et Oleg
est amené à réutiliser les mêmes ruses pour faire passer ce qui lui tient à coeur.
Makine nous raconte deux histoire en parallèle. Il y a celle d'Oleg, tourmenté par son film et son identité de Russe d'origine allemande qui l'empêchent de mener
une existence sereine. Et il y a des éléments de biographie de Catherine 2. Au fond de tout ça la question qui est posée est celle de l'essence de l'être humain et de ce qui permet d'atteindre le
bonheur. Mon impression sur ce livre est mitigée. Les épisodes de la vie de Catherine sont présentés de façon un peu répétitive ce qui rend la lecture lassante mais en même temps il y a aussi de
bonnes trouvailles, notamment sur la recherche de l'amour, qui sont comme des éclaircies pour moi et qui me font rappeler qu'il faut que je relise les premiers romans de Makine qui m'avaient tant
plu.
Ivan Choutov est un écrivain d'une cinquantaine d'années, d'origine russe et vivant en France. Son amie, beaucoup plus jeune que lui, vient de le quitter et il décide
d'aller en Russie. Il souhaite y revoir Iana qu'il aimât trente ans plus tôt.
A Saint Petersbourg Choutov est volontier accueilli par Iana mais elle n'a guère de temps à lui consacrer. Elle est devenue une femme d'affaires pressée, toute occupée à gagner de l'argent et à le
dépenser. Choutov découvre alors que la Russie d'aujourd'hui n'a plus grand chose à voir avec celle qu'il a quittée. Elle est entrée dans cette société de consommation qu'il avait du mal à
supporter en France.
C'est cependant ici qu'il va rencontrer Volski. Ce vieil homme lui raconte sa vie : survivant du siège de Léningrad, déporté au goulag, interné en hôpital psychiatrique, il a finalement été
réhabilité après la mort de Staline mais surtout il a vécu un grand amour qui a surmonté toutes ces difficultés et a donné son sens à sa vie.
Des deux personnages c'est Volski qui est le plus intéressant. Toute son histoire est liée à celle de la Russie depuis la deuxième guerre mondiale. Choutov quant à lui ne m'est pas très
sympathique, c'est un homme aigri. Je me demande à quel point ce n'est pas en partie Makine qui se cache derrière le personnage. Il termine son récit avec une conclusion à laquelle je n'adhère pas.
Comparant l'époque actuelle avec celle de l'URSS il constate que c'était "une époque qu'il sait indéfendable et où pourtant vivaient quelques êtres qu'il faudra coute que coute sauver de
l'oubli". Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas dire la même chose du monde d'aujourd'hui.
Le narrateur est un instructeur soviétique qui, entre les années 1970 et la chute de l'URSS, a parcouru l'Afrique pour en former les peuples à la révolution.
Révolution contre le colonisateur encore en place, révolution contre les régimes à la solde des Etats-Unis. Un jour, prisonnier d'une faction adverse, il rencontre Elias Almeida, un Angolais,
prisonnier avec lui, acquis à la cause communiste. Les deux hommes deviennent amis. Leur existence aventureuse va les amener à se croiser régulièrement sur leurs terrains de combat.
C'est la quête d'Elias que nous raconte L'amour humain. Marqué par la mort de sa mère (victime de la répression portuguaise en Angola) Elias se bat pour un
monde plus juste. Ce qui l'anime aussi c'est le souvenir de son amour pour Anna -une femme qu'il a rencontrée lors d'un stage de formation à Moscou- et du voyage qu'il fit avec elle vers son
village natal de Sibérie. L'histoire d'Elias s'entrecroise avec celle du narrateur sur fond d'interventions soviétiques, de guerres civiles et de grande violence.
"Sans l'amour qu'il portait à cette femme, la vie n'aurait été qu'une interminable nuit, dans les forêts du Lunda Norte, à la frontière entre l'Angola et le
Zaïre." Il est ici question du sens de la vie qui va avec la connaissance de l'amour vrai. Un amour dans lequel il n'y a pas de place pour les mensonges ou les faux-semblant, où l'on
se présente sans masque, tel qu'on est devant l'autre. Et tout le reste n'est qu'accouplements. Il y a quelque chose de très romantique dans cette conception des choses. D'un côté une humanité qui
geint, qui souffre, qui baise, qui n'est que morceaux de viande ; de l'autre côté Elias et son amour sublime mais qui ne peut pas vivre avec la femme qu'il aime.
Je n'adhère pas à une telle division et je termine ce livre avec un sentiment très mitigé. J'avais découvert Andreï Makine avec Le testament français qui
m'avait emballée. J'ai lu dans la foulée ses romans précédents : La fille d'un héros de l'Union soviétique, Confession d'un
porte-drapeau déchu et Au temps du fleuve Amour qui ont confirmé ma première impression et m'ont fait placer Andreï Makine au rang de mes auteurs
favoris. J'ai lu ensuite ceux qui ont suivi mais depuis La musique d'une vie je suis moins convaincue. J'ai le projet depuis un bout de temps de relire tout
ça pour savoir si cet engouement se maintient ou s'il a correspondu à un moment de ma vie. Quoi qu'il en soit je reste une admiratrice de M. Makine ne serait-ce que pour sa maîtrise parfaite du
Français qui n'est pas sa langue maternelle.